Les premières sont bien souvent des événements marquants. Pour un jeune diplomate enthousiaste à l’idée de partir en poste à l’étranger, la première affectation est à la fois redoutée et attendue. C’est un moment qui symbolise simultanément le fil d’arrivée et la ligne de départ, le point culminant de tant d’années de préparation sur les bancs d’école et à la centrale ainsi que le début d’une carrière hors du commun qui mènera littéralement aux quatre coins du monde. Bref, il est parfois difficile d’imaginer ce qui nous attend. Le texte qui suit rassemble quelques-unes des leçons que j’ai tirées après un an de formation linguistique et trois années passées en Thaïlande, dont près de 18 mois en temps de pandémie. Certaines viennent de mentors que j’ai côtoyés au fil des années. D’autres sont plutôt l’aboutissement de mes propres réflexions.
Premièrement : apprendre à embrasser l’imprévu sous toutes ses formes
Ceux qui aiment la routine ou encore veulent que tout se déroule sans encombre ont définitivement choisi le mauvais métier. Une bonne planification demeure la meilleure façon de pallier aux imprévus, mais il est impossible de toujours les anticiper. Ici, la capacité d’adaptation et d’improvisation sont clefs. Tout comme apprendre à gérer le stress et apprendre à rigoler suite aux changements de dernière minute. En faisant le point sur les quatre dernières années, je pense que la seule constante dans mon travail fut le changement qui se manifeste de façon imprévisible sans crier gare.
Deuxièmement : prendre les rênes de son propre parcours de carrière
Malgré la hiérarchie propre à la diplomatie, le manque relatif d’encadrement pour ce qui touche à notre développement professionnel me laisse encore bouche bée. Sur une carrière de 35 ans, un agent du service extérieur peut normalement espérer compléter cinq ou six affectations à l’étranger entrecoupées par des retours au pays de durée variable. Il y a bien sûr des exceptions; je pense ici aux agents consulaires et à nos collègues de la filière immigration qui suivent une formation à la fois poussée et hautement structurée, et qui peuvent plus souvent faire des affectations croisées. Je crois donc qu’il est important de mettre sur papier ses objectifs à long terme. Cela inclut à mon avis le développement d’une ou deux spécialisations géographiques ou encore thématiques. Recruté pour travailler sur la Chine, j’ai toujours pensé que j’y passerais ma première affectation. Ce fut toute une surprise de recevoir mon message d’affectation avec comme entête « BNGKK », même si en fin de compte je suis content d’avoir pu élargir mes horizons en travaillant en Asie du Sud-est et d’avoir développé une perspective régionale qui me servira plus tard.
Troisièmement : ne jamais négliger l’administration, à la fois personnelle et reliée au travail
Il est facile de reporter une tâche qui peut nous sembler anodine. Avec le brouhaha associé au départ à l’étranger, je saurai à l’avenir qu’une affectation se prépare dès la réception du message des ressources humaines. En poste, que ce soit le remboursement des demandes d’hospitalité ou encore le renouvellement des documents importants comme le permis de conduire, la paperasse s’accumule rapidement. Et une fois que cette dernière atteint une certaine hauteur sur le coin de notre bureau, il devient presque insurmontable de s’en débarrasser. J’aurai appris cela à mes dépens.
Quatrièmement : protéger une plage horaire hebdomadaire pour persister dans son apprentissage de la langue locale et dans son propre développement professionnel
Peu de corps diplomatique offre la chance de passer jusqu’à deux années en formation linguistique. Cette opportunité d’apprendre une langue étrangère se révèlera bien souvent un atout dans la plupart des postes où nos contreparties n’ont pas toujours cette chance. Si jamais il est possible de tirer avantage de ce privilège incroyable, je crois néanmoins qu’il faut aussi continuer de le faire une fois arrivé en poste. Le train-train quotidien reprend rapidement le dessus, mais cela n’est pas une excuse pour mettre l’apprentissage continu de la langue locale de côté. Il en va de même pour le développement professionnel, tels que les cours en ligne, les certificats, ou encore l’obtention d’un diplôme de cycle supérieur. Parfaire ses connaissances, c’est investir dans son avenir en élargissant ses horizons et en devenant plus efficace.
Cinquièmement : investir dans ses employés locaux
Ils représentent notre mémoire institutionnelle et assurent la pérennité des opérations. Malheureusement, peu d’opportunités de développement professionnel leur sont offertes, et à moins de gagner un concours à l’interne, les promotions sont rares. Je ne regrette pas du tout le temps passé à essayer de comprendre leurs besoins et attentes, à leur trouver de nouveaux défis et à les supporter dans leurs développements professionnels respectifs. À mon avis, il faut les habiliter eux aussi dans leurs carrières pour que finalement ils décident de rester.
Sixièmement : s’imposer des limites
En Asie du moins, l’empreinte diplomatique du Canada n’a pas la profondeur des grandes puissances et de certaines autres puissances moyennes. En Thaïlande, la section politique compte trois employés canadiens, comparativement à huit pour l’Australie et une vingtaine pour les États-Unis (avec 87 employés au total, la section politique américaine est plus grande que l’Ambassade du Canada au complet). Étant donné la concentration des responsabilités au sein d’un petit nombre d’individus, le travail s’empile à un rythme effréné. Il est probablement impossible de tout finir. Bien qu’il soit impossible de toujours éviter les heures supplémentaires, il est sain de s’imposer des limites en termes de nombre d’heures travaillées. Suivant les conseils d’un mentor, j’ai cessé une fois en poste de chercher la perfection, un luxe, et appris à simplement viser le travail bien fait. Ma santé mentale s’en porte d’ailleurs beaucoup mieux.
Septièmement : apprendre à jongler avec plusieurs « balles » sans en laisser tomber une seule
Ce point est relié au tout dernier. La petitesse relative de nos équipes fait en sorte que tout le monde doit mettre ses mains à la pâte (je me rappelle par exemple d’avoir eu à assembler 40 poutines juste avant la tenue d’une réception). Gérer les priorités ainsi que les dates butoirs sont des aspects importants de notre travail. À ce sujet, chaque personne aura un système qui fonctionne mieux; il n’y a pas de recette magique!
Huitièmement : garder contact
Cela peut vouloir dire différentes choses. Pour moi, garder contact signifie : (1) correspondre et discuter avec sa famille, ses proches et ses amis; (2) se tenir au courant de l’actualité au Canada; (3) téléphoner à ses collègues de travail à la centrale régulièrement pour faire le point au lieu de toujours s’envoyer des courriels. Cette leçon est d’autant plus vraie en période de pandémie où il devient facile de broyer du noir. S’inventer des traditions est une option. Par exemple, j’envoie des cartes postales lorsque je visite de nouvelles villes.
Neuvièmement : se souvenir de l’appel du métier et surtout ne pas oublier de s’amuser
Notre travail est aussi une vocation. Nous travaillons parfois sur des dossiers qui prendront des années à faire avancer. Nos contributions, petit à petit, s’inscrivent dans la globalité de la diplomatie canadienne. Chaque affectation vient avec des moments de frustration et d’impuissance. Toutefois, il faut savoir garder le cap et remettre les choses en perspective. Vivre à l’étranger pour une période prolongée est une chance relativement rare. Se faire de nouveaux amis, idéalement en dehors des cercles diplomatiques, et se lancer dans de nouveaux passe-temps aident à mieux s’ancrer dans notre nouveau milieu et de garder la tête froide durant les moments plus difficiles qui se pointeront un jour ou l’autre.
Cette liste n’est pas exhaustive et est limitée en termes de longueur. J’aimerais bien connaître vos propres leçons tirées lors de vos affectations précédentes, alors n’hésitez pas à y rajouter vos suggestions!