Une des tâches que je préfère comme présidente de l’Association professionnelle des agents du Service extérieur (l’APASE), c’est l’accueil des nouvelles recrues. Ces personnes brillantes et talentueuses, mettent leurs compétences et leur énergie au service d’une profession qui exige l’excellence, souvent dans des conditions difficiles et dangereuses. Et pourtant, alors que j’étais debout face à une salle bondée de nouveaux arrivants à Affaires mondiales Canada, mon cœur a cessé de battre lorsque les questions ont commencé à porter sur MSH International et l’administration du Régime de soins de santé de la Fonction publique (RSSFP) à l’étranger. J’ai dû les regarder droit dans les yeux et leur dire quelque chose qui m’aurait paru inconcevable quand j’ai joint le service extérieur il y a 31 ans : l’employeur qui les a recrutés n’est pas disposé à leur offrir le régime d’assurance-santé fonctionnel dont ils ont besoin pour se protéger, eux et leur famille, durant leurs affectations à l’étranger.
Ce qui aurait dû être une discussion enthousiaste sur les joies et les aléas de notre profession est devenue une confrontation avec la dure réalité au moment où je leur ai expliqué que l’entreprise chargée d’administrer leur régime d’assurance-santé manque gravement à ses devoirs envers eux et que le gouvernement du Canada refuse d’assumer la responsabilité de remédier à cette défaillance. Au lieu de responsabilisation, nous n’avons vu rien d’autre que des mesures symboliques et des renvois de la balle entre l’employeur et Canada Vie, puis MSH International, alors que la situation met en danger la vie et le gagne-pain de personnes. Cela s’inscrit dans une tendance du gouvernement du Canada à se soustraire à ses responsabilités en les refilant à des sous-traitants, ce qui est devenu manifeste avec Phénix – qui nous hante toujours neuf ans plus tard – et qui doit cesser.
Une défaillance en temps de crise
Depuis le passage de l’administration du RSSFP de Sun Life et de sa sous-traitante, Allianz, à Canada Vie et à MSH International en juillet 2023, nous avons vu, cas après cas, des membres de l’APASE et autres dans la communauté du Service extérieur se voir refuser la protection de base du régime d’assurance-santé, bien que leurs cotisations soient quand même retenues à la source. Pouvez-vous imaginer avoir besoin de soins d’urgence, apprendre qu’il vous faut des tests de toute urgence et être renvoyé parce que votre assureur ne peut pas confirmer votre protection? Ou être hospitalisé dans un pays étranger et apprendre que vous avez besoin d’une deuxième procédure, mais que vous devez passer des journées supplémentaires dans une unité de soins intensifs – à grands frais en période de pandémie –, parce qu’il est impossible de joindre l’entreprise pour obtenir son autorisation? Si je semble fâchée, c’est que je le suis – ces personnes se trouvent dans un pays étranger, elles sont vulnérables et nécessitent des soins médicaux essentiels, tout ça pour se rendre compte que leurs réseaux vitaux faillissent à leurs devoirs envers eux.
Même des personnes qui sont capables de puiser dans leurs goussets ou d’obtenir de l’aide sous forme de prêt d’AMC, puis soumettent des demandes de règlement de frais pour des traitements dont ils ont eu besoin, ont déclaré s’être butées à toute une série de refus arbitraires. Nos membres nous signalent que des demandes de règlement sont rejetées de toute part pour aucun motif valable. Ils se font dire que leurs procédures médicales ou leurs médicaments nécessaires ne sont « pas couverts », même si ces services font explicitement partie intégrante du régime. Face à cette négligence institutionnelle, ils sont obligés de perdre énormément de temps à contester ces refus. J’ai entendu parler de membres qui ont dû scruter leur régime de soins de santé de manière plus approfondie que les propres employés de la société d’assurance payée pour l’administrer, puis assumer le fardeau de renseigner ces employés.
Un cauchemar bureaucratique
Ce fardeau additionnel de surveiller les erreurs, les malentendus et la mésinformation de la société d’assurance est particulièrement flagrant. Les membres de l’APASE, qui sont censés se concentrer sur leur mission de servir le Canada et les Canadiens et les Canadiennes à l’étranger, consacrent des heures – et parfois des jours – à combattre le système. Les employés de l’assureur, qui connaissent scandaleusement mal les modalités du régime, donnent constamment de la mauvaise information, ce qui oblige nos membres à contre-vérifier chaque détail, à intensifier chaque problème et, essentiellement, à effectuer le travail à leur place. Il suffit déjà que certains membres aient signalé avoir dû faire reporter d’importantes consultations médicales et que d’autres se soient sentis dissuadés de postuler des affectations à l’étranger.
L’APASE a également été obligée d’assumer le fardeau du suivi des dossiers afin de vérifier les affirmations de MSH International. Par exemple, il y a quelques jours, nous avons reçu un rapport du Secrétariat du Conseil du Trésor dans lequel il est déclaré que MSH n’avait aucune demande de règlement datant de plus de 30 jours. Comme cela semblait peu vraisemblable, j’ai posé la question par l’intermédiaire du groupe Facebook du Service extérieur et, en moins de huit heures, j’avais reçu des réponses de 52 membres dont les demandes de règlement remontent à aussi loin que juillet 2023. Notre siège social possède aussi des dossiers exhaustifs sur plusieurs demandes de règlement remontant à plus de 12 mois. Cette information aurait été accessible à l’employeur s’il avait fait preuve d’un minimum de diligence pour vérifier les affirmations de l’entreprise. (Vous ne serez pas choqués d’apprendre que ma demande visant à obtenir un plan de la méthode de vérification du SCT reste sans réponse au moment d’écrire ces lignes.)
Personne d’entre nous n’a jamais voulu s’embarquer dans une telle galère. Ce n’est pas comme cela que les membres du service extérieur du Canada devraient être traités par un employeur qui s’est engagé à leur fournir un filet de sécurité et non pas à les empêtrer dans un cauchemar bureaucratique. Ces professionnels travaillent dans des environnements difficiles, très stressants, parfois à des milliers de kilomètres de leur foyer, et ils méritent à tout le moins de savoir que le gouvernement du Canada s’occupe de leur santé au meilleur de sa capacité.
L’APASE agit
L’APASE ne reste pas là les bras croisés. Elle a pris d’importantes mesures pour lutter contre ces injustices pour le compte de ses membres. Premièrement, elle a présenté un grief de principe, dénonçant les nombreux cas de violation du régime d’assurance-santé et exigeant des mesures correctives immédiates. L’employeur a réagi par le silence au grief. Son refus de reconnaître la gravité de ces enjeux ne contribue qu’à empirer les choses.
Conscients qu’il s’agissait là de bien plus qu’un simple enjeu de relations de travail, nous avons intensifié notre lutte en déposant des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Ces plaintes ciblent tant le gouvernement du Canada que la MSH International pour leurs violations des droits fondamentaux de la personne. Le déni de soins de santé, en particulier dans des situations d’urgence, ne constitue pas simplement une rupture de contrat – c’est du non-respect de la décence la plus élémentaire de l’être humain et il entraîne des répercussions sans commune mesure sur les familles et les personnes handicapées. Le gouvernement du Canada ne peut pas s’en laver les mains et refuser sa responsabilité en sous-traitant son obligation de diligence à un assureur incompétent.
Malgré ces efforts, la situation reste sans solution. Face à l’irresponsabilité du gouvernement du Canada, nous venons de prendre une mesure audacieuse, soit la présentation d’une requête en ordonnance de mandamus. Cette action en justice a pour objet d’obliger le gouvernement à remplir ses obligations juridiques envers ses fonctionnaires et les membres de leur famille en réglant cette situation désastreuse une fois pour toutes. Nous exigeons que le tribunal ordonne au gouvernement d’intervenir, de prendre le contrôle et de garantir que nos membres jouissent d’un régime d’assurance-santé adéquat jusqu’à ce que cette défaillance systémique soit réglée. Nous avons également demandé que, dans la prise de décision concernant cet enjeu, la priorité soit accordée à la santé et à la sécurité des membres et de leur famille.
Nous ne pouvons pas continuer à attendre que MSH International se réveille; le gouvernement doit prendre les commandes et faire fonctionner le système. L’heure n’est plus, depuis longtemps, aux demi-mesures ni aux vaines promesses.
Le temps est venu de trouver une solution
Je dois l’avouer : avant que cet enjeu ne s’intensifie, la mention de la protection d’assurance présentait peu d’intérêt à mes yeux. Cependant, il ne s’agit pas simplement de paperasserie ou de surveillance administrative. Il s’agit de vies – d’êtres humains qui servent leur pays à l’étranger, souvent à leurs risques et périls et à ceux de leur famille. Le défaut du gouvernement du Canada de garantir qu’ils obtiennent une protection d’assurance-santé adéquate, que ce soit par l’intermédiaire de MSH International ou autrement, constitue un abus de confiance à l’égard de nos membres, de leur santé et sécurité et de leur dignité.
L’APASE ne peut pas permettre que cette situation perdure et elle ne le permettra pas. La communauté du Service extérieur, sans compter le contribuable canadien, mérite mieux, et nous continuerons à lutter sur tous les fronts possibles – par des griefs de principe, des plaintes portant sur les droits de la personne et, à présent, devant les tribunaux. Nous avons pris l’engagement de faire en sorte que le gouvernement soit tenu pour responsable de cette défaillance – il ne faut pas qu’elle devienne un autre Phénix.
À nos nouvelles recrues, je dirai ceci : nous luttons pour vous. Vous ne devriez jamais avoir à craindre que vous ou les membres de votre famille ne puissiez pas obtenir des soins médicaux essentiels durant vos affectations au service du Canada et des Canadiens et des Canadiennes à l’étranger. Ce n’est pas votre responsabilité. Nous allons continuer à vous défendre jusqu’à ce que le problème soit réglé et que vous – et tous les membres dévoués, actuels et futurs, du Service extérieur du Canada – obtiennent la protection, les soins et le respect qu’ils méritent.