Au Zaïre, aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC) tout événement de la vie diplomatique peut prendre des allures originales et inédites. En voici quelques exemples.

Où sont passées mes lettres de créances?

La présentation, pour la première fois, des lettres de créances, est un moment émouvant et solennel. Le nouvel ambassadeur espère que tout soit parfait. 

J’ai vécu des moments de nervosités avant la présentation de mes lettres au Zaïre car je ne les avait pas encore reçues. 

Les lettres de créance d’un nouvel ambassadeur arrivent par courrier diplomatique. Dans mon cas, point de lettres. 

Je m’en œuvre au Chef du protocole qui me dit de ne pas m’inquiéter car le Président n’ouvre pas les enveloppes. Il les prend et les lui remet. On convient de remettre au Président une grande enveloppe contenant quelques feuilles blanches. 

À la réception de mes précieux documents, je n’aurais qu’à les lui porter et il les placerait aux archives officielles. Comme le dit le dicton, lorsque l’on veut, on peut.

Une estafette, dépêchée d’Ottawa, arrive avec les précieux documents moins d’une heure avant la cérémonie. Quel soulagement.

Je présenterai, au fil des ans, mes lettres dans huit autres pays mais ce show de boucane a une saveur originale au Zaïre.

La rencontre avec le Président se termine en levant le verre de vin de palme aux ancêtres, à nos pays respectifs et surtout à notre amitié. Le toast aux ancêtres exige que nous verrions par terre une partie du précieux liquide. Puis Mobutu invite alors ses hôtes à l’accompagner pour dire bonjour aux léopards qui vivent dans une grande cage à l’extérieur de son bureau. C’est l’animal fétiche et emblématique de Mobutu qui porte toujours une toque en peau de léopard. 

Réforme de la Fonction publique

Au début de 1983, la Banque Mondiale conclut une étude sur la réforme de la Fonction publique. Elle y formule plusieurs recommandations dont certaines ne sont pas de nature à plaire aux autorités zaïroises. La plus délicate recommande le congédiement du tiers des employés de l’État. En contrepartie, la BM allongerait les sommes requises pour augmenter de 20 % le traitement des fonctionnaires restants et financer les primes de séparation.

Puisque c’est à mon tour de présider le Club des amis du Zaïre, j’ai l’honneur d’organiser la rencontre de présentation de la conclusion clef. J’invite donc à déjeuner, une semaine plus tard, les ministres des Finances, de la Fonction publique et le Chef de cabinet du Président ainsi que le représentant de la Banque Mondiale et les ambassadeurs membres du Club. Inutile de dire que je suis dans mes petits souliers. Je crains que les ministres zaïrois quittent la table dès l’annonce de la mauvaise nouvelle. Je m’efforce de créer une atmosphère décontractée jusqu’au dessert. Alors, je me lance à l’eau que je crois bouillante et demande au représentant de la Banque Mondiale de présenter cette recommandation délicate. 

Le ministre des Finances prend la parole et s’adresse au ministre de la Fonction publique en disant: « Si on congédie tous les morts et quelques fonctionnaires qui ne viennent plus au bureau depuis au moins un an, je crois que ça fera bien le tiers des fonctionnaires. Qu’en penses-tu? »

Au moins le tiers répondit le ministre et un éclat de rire joyeux secoue le groupe zaïrois. Tous les convives occidentaux se joignent à la rigolade. La réforme de la Fonction publique est amorcée. Mais, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. 

Le prologue de l’histoire est le suivant : en 2011, alors retraité de la Fonction publique, je reçois du Gouvernement belge le mandat d’étudier leur projet de réforme de la fonction publique zaïroise qu’il finance depuis cinq ans. Tel n’est pas mon étonnement de découvrir dans la documentation qui m’est remise par le Secrétaire général du ministère de la Fonction publique, l’étude de la BM datée de 1983. Elle est la dernière étude globale et la plus récente sur le sujet. J’ai l’impression de remonter le temps en faisant un saut périlleux arrière de 25 ans. Le Zaïre ne change pas. 

Une visite d’adieu mémorable

Quelques semaines avant mon départ, je demande, à travers le service du Protocole, audience au Président pour lui dire au revoir. Je prends soin d’indiquer la date de mon départ définitif.

Silence radio de la part de la présidence. Je commence à m’inquiéter. En effet, Mobutu donne, quelques fois, audience à l’ambassadeur partant quelques semaines après son départ. Ce qui force ce dernier à revenir au pays. J’informe donc, informellement, le Chef du Protocole que je ne reviendrai pas au Zaïre si la rencontre m’est accordée après mon départ. 

Les jours passent, les jours passent et toujours pas de signal. Trois jours avant mon départ, je lis dans le journal que le Président part pour quatre jours dans le Nord-Est du pays. J’en conclus que je ne serai pas reçu. 

Le soir même, un appel téléphonique de la présidence me prie de me trouver à l’aéroport de Ndolo, petit aéroport au centre-ville, à 6 h 00 le lendemain. Un bimoteur nolisé me conduirait là où se trouve le Président. 

Je me présente au lieu-dit. Je n’ai aucune idée de l’endroit exacte où il se trouve au Nord-Est. L’avion survole une grande partie du pays et se pose à Isiro vers 10 h 30 où m’attend une Jeep avec une importante escorte militaire. On voyage un peu moins d’une heure sur des chemins de brousse pour arriver à un petit campement provisoire sur les rives d’une rivière. 

Le Président Mobutu m’y attend. Je porte un costume noir avec chemise blanche et cravate. Je suis un anachronisme dans ce décor. Mobutu porte de grandes bottes de pêcheur, un chandail gris et un chapeau de paille. Il m’invite à revêtir un équipement de pêche et à le rejoindre avec mes agrès dans la rivière. 

Il y a une telle abondance de tilapias que tout débutant peut se prendre pour un grand pêcheur. Vers 12 h 30, nous quittons la rivière pour rejoindre une petite tente où une table est dressée. Le Président se transforme en cuisinier pour faire griller quelques poissons sur le BBQ au charbon de bois. Le Chef cuistot fera griller les autres.

Le déjeuner est agréable, Mobutu est très décontracté et accepte de discuter franchement tous les sujets. 

Nous discutons de politique étrangère : Rwanda, Afrique du Sud, Israël, etc.; de politique intérieure et notamment de l’importance pour le Zaïre d’honorer ses engagements envers le Club des amis du Zaïre et de prendre des mesures pour réduire significativement la corruption, etc. Nos points de vue sont assez proches sur la majorité des sujets sauf sur la réduction de la corruption. Mobutu considère, qu’en Afrique, les chefs doivent eux-mêmes partager la richesse entre les différents groupes. Il ne dit pas que pour ce faire, il doit faire main basse sur la richesse du pays. Les Africains, dit-il, ne se sentent pas à l’aise avec le système de sécurité sociale occidental qu’ils considèrent trop rigide et trop bureaucratique. 

C’est une justification facile mais qui ne tient pas la route. 

Le déjeuner terminé Mobutu m’invite à prendre un café et un digestif. 

Il est maintenant plus de trois heures. Comme j’avais mis cinq heures pour rejoindre le Président, il m’est impossible de retourner à Kinshasa pour participer au dîner de l’ambassadeur suisse. 

Tant pis, me dis-je. Je ne peux rien faire. Aucun téléphone pour signaler mon absence. 

Vers 15 h 30, j’entends un bruit inquiétant et puissant, je réalise qu’il s’agit d’un immense hélicoptère militaire construit pour transporter une trentaine de soldats avec leurs équipements. Il se pose à une centaine de mètres du campement. 

Le Président m’invite à monter à bord et on se dit au revoir.

Je suis seul avec l’équipage. Je me rends compte que l’hélico vole probablement vers Goma. Il s’y posera effectivement. 

Il me faudra, me dis-je, passer la nuit à Goma et rejoindre la Capitale le lendemain sur le vol d’Air Zaïre. 

Le DC-10 d’Air Zaïre qui fait la liaison trois fois semaine entre Kinshasa, Goma et Nairobi vient de se poser. Le pilote de l’hélico me dit d’attendre la venue d’une voiture qui doit me conduire à la passerelle du DC-10. 

Je n’ai pas du tout envie de faire le circuit. J’aurais préféré coucher à Goma et de prendre l’avion le lendemain. Je fais cette remarque à l’hôtesse qui m’attend au pied de la passerelle. On suit les ordres du Président, me dit-elle. 

Je monte à bord, on retire la passerelle et la porte se ferme. Je découvre alors que je suis le seul passager avec un des fils du Président. 

Ce dernier me dit que son père, voulant s’assurer que j’arrive à l’heure au dîner offert en mon honneur, avait ordonné à la compagnie nationale de faire patienter ses passagers à Goma, le temps de venir me déposer à Kinshasa et de revenir poursuivre son itinéraire régulier. 

Le Président voulait me démontrer son amitié et sa reconnaissance pour l’aide du Canada envers son pays. 

Ce genre de remerciement est difficile à comprendre et à accepter pour un Occidental préoccupé par l’efficience et la rigueur de la gestion publique. 

Air Zaïre, surnommée Air peut-être, fera faillite quelques années plus tard.

Not Mentioned in Dispatches /
Confidences peu diplomatiques

Baico Publishing Inc, 2020

300 pages, 25 $ (incluant l’expédition au Canada)

Disponible chez AMBCanada (ambcanada.ca)

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