Je me souviens encore de la journée du 8 janvier 2020. Notre nouvelle ambassadrice est arrivée du Canada ce jour-là. C’est aussi la première fois, à la suite d’un article paru dans le « Wall Street Journal », que j’ai brièvement discuté avec des collègues de cette étrange pneumonie s’apparentant au SRAS en Chine et des implications pour la Thaïlande, une destination touristique hautement prisée par les Chinois qui représentent en temps normal environ 25 % des 40 millions de touristes y voyageant chaque année. Le 13 janvier, les autorités sanitaires confirment durant une conférence de presse qu’une personne d’origine chinoise arrivée à Bangkok le 8 janvier a testée positive au nouveau coronavirus. Cette annonce marque la première fois que le virus a été détecté à l’extérieur des frontières de la Chine. L’ambassade en Thaïlande se met alors en mode précrise et commence à réviser ses scénarios de contingence en cas de pandémie. Avec du recul, j’affirme que nous n’avons ménagé aucun effort pour affronter cette crise qui demeurera certainement un événement marquant de ma jeune carrière. Le texte qui suit offre un bref retour sur une année charnière, vue d’une des plaques tournantes de l’Asie du Sud-est.
Comparativement à la majorité des pays membres du « Five Eyes », sauf pour la Nouvelle-Zélande, la présence diplomatique du Canada en Asie-Pacifique est relativement minimale. Ce n’est qu’en activant la cellule de gestion de crise en février que nous avons pu mobiliser les ressources des autres ministères hébergés sous le même toit que l’ambassade du Canada à Bangkok afin de répondre à l’urgence. En fin de compte, la Thaïlande, ainsi que le Cambodge et le Laos, deux pays gérés en partie à partir de la mission à Bangkok, auront échappé au pire de la première vague. La Thaïlande et le Cambodge n’ont jamais complètement fermé leurs frontières, ce qui a permis aux vols commerciaux de continuer, bien qu’à fréquence largement réduite. Grâce à notre fantastique équipe consulaire et aux efforts déployés par nos « renforts » internes, il aura été possible de répondre à l’explosion de demandes de services consulaires. Que ce soit pour recevoir des mises à jour sur les vols disponibles pour rentrer au pays, mettre la main sur des laissez-passer pour traverser les frontières interprovinciales, ou encore obtenir un prêt d’urgence, la section consulaire a répondu à des milliers de demandes en l’espace de quelques semaines, du jamais vu pour une équipe qui en situation normale est déjà débordée.
L’événement le plus marquant pour une bonne partie du réseau diplomatique canadien dans ce coin du monde fut la saga du bateau de croisière MS Westerdam. Arrivé à Sihanoukville au Cambodge en mi-février après s’être fait refuser le droit d’accoster au Japon, à Taïwan, aux Philippines, à Guam et en Thaïlande, bien des efforts, incluant un coup de fil du ministre Champagne à son homologue cambodgien, seront déployés pour permettre aux 279 Canadiens d’être rapatriés au cours des deux semaines qui suivirent.
Pour être franc, notre équipe n’avait tout simplement pas les outils nécessaires pour travailler à distance au tout début de la pandémie
Les deux aspects les plus difficiles durant la première vague en Thaïlande furent la technologie ainsi que la santé mentale. Pour être franc, notre équipe n’avait tout simplement pas les outils nécessaires pour travailler à distance au tout début de la pandémie. Nous n’avions pas assez d’ordinateurs portables, les réseaux étaient horriblement lents en raison de leur surutilisation; à bien des reprises, il m’aura fallu faire des journées de 12 à 14 heures pour terminer l’équivalent du travail que je suis normalement capable
de compléter durant les heures régulières de bureau. Avec l’incertitude grandissante au fur et à mesure que la pandémie a pris de
l’ampleur, de la parenté âgée au Canada faisant partie des groupes vulnérables, et le fait de se sentir physiquement coupé du monde, je me suis retrouvé plusieurs fois à broyer du noir. Heureusement que la gestion à l’ambassade a rapidement reconnu l’importance de s’assurer de la bonne santé mentale de tous les employés et que des mesures ont été rapidement mises en place pour atténuer les aspects les plus dommageables du confinement – pratiques qui ont été partagées ailleurs dans le réseau diplomatique du Canada en Asie du Sud-est.
Avec plus d’une douzaine de coups d’état depuis 1932 et une situation politique depuis les années 2000 des plus instables, une affectation en Thaïlande pour un agent politique promet toujours d’être haute en rebondissements. Bien que des élections aient eu lieu en mars 2019 mettant fin à la période la plus récente de gouvernance par junte militaire, le retour vers une véritable démocratie n’est pas encore complété. La dissolution d’un parti politique d’opposition en février 2020 soutenu par la jeunesse thaïe, l’enlèvement d’un jeune dissident politique au Cambodge en juin 2020, ainsi que la gestion mitigée de la pandémie, en particulier de l’économie, a encouragé des milliers de personnes à manifester contre le gouvernement tout au long de la deuxième partie de l’année. Le reportage politique, ces fameux « câbles diplomatiques », sur les manifestations en Thaïlande a donc repris énormément d’importance, reléguant la COVID-19 au second plan.
Dès le départ, l’équipe politique a su tirer profit de son réseau de contacts pour comprendre la crise. Anticipant les développements à suivre, la mission a rapidement mis sur pied un plan de contingence au cas où la situation déborderait. Pendant plusieurs mois, jusqu’à la mi-octobre lorsque la police a finalement commencé à utiliser la force pour disperser des manifestants, le renouveau de l’instabilité politique en Thaïlande n’a pas généré beaucoup d’intérêt. Tout d’un coup, en partie en raison de la médiatisation des développements politiques et les comparaisons aux manifestations à Hong Kong, la centrale a soudainement essayée de comprendre les causes du renouveau de l’instabilité politique en Thaïlande et les implications pour le Canada. Avec un réseau diplomatique à l’étranger poussé au bout de ses limites par la pandémie et beaucoup de missions encore en état de gestion de crise, il ne restait simplement que peu de bande passante pour faire face à des pressions additionnelles.
Le fait que la Thaïlande a échappé au pire de la première vague nous a permis durant la seconde partie de l’année de reprendre nos activités courantes… ou presque!
Le fait que la Thaïlande a échappé au pire de la première vague nous a permis durant la seconde partie de l’année de reprendre nos activités courantes…ou presque! Il faudra quand même quelques mois pour que nos contacts locaux aient de nouveau confiance pour participer à des rencontres en personne – avec bien sûr de nouvelles mesures sanitaires en place telles que le port du masque ainsi que la distanciation. Contrairement à certaines missions dans la région fonctionnant à ras bord, nous avions les ressources nécessaires pour aller de l’avant avec l’organisation d’événements complexes lors de la seconde partie de l’année. Par exemple, en moins de trois semaines, nous avons mis sur pied une conférence régionale sur la liberté de presse en Asie du Sud-est pour préparer le terrain à la 2e Conférence mondiale sur la liberté de presse. Les participants de la Thaïlande ont pu nous rejoindre physiquement au Club des Correspondants étrangers à Bangkok, tandis qu’une vingtaine de participants se sont connectés en ligne pour prendre part à l’événement dont le rapport de conférence se trouve en ligne.
La nécessité est mère d’industrie; malgré toutes les discussions sur « la fonction publique 2.0 », ce sera une pandémie mondiale qui finalement forcera le réseau diplomatique canadien à s’adapter en l’espace de quelques mois. Une autre des leçons importantes à tirer de cette crise est que malgré l’avancement des technologies, ces dernières ne peuvent entièrement remplacer les interactions physiques, car après tout, l’homme demeure un animal grégaire.
Au moment où je mets mes réflexions sur papier, la Thaïlande fait maintenant face à une deuxième vague. Après six mois passés à travailler de façon quasiment normale, le retour au confinement est dur pour le moral de toute l’équipe. Cette année devait être passée à célébrer le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Canada et la Thaïlande. Déjà, nous avons dû reporter ou modifier la plupart de nos événements pour le premier trimestre, et ce, malgré tous nos efforts de planification. Armés de notre expérience lors de la première vague, je crois que nous sommes quand même beaucoup mieux préparés, et ô combien plus sage, pour faire face à la tâche.