Je dois admettre que j’avais quelques doutes en m’assoyant dans la salle de concert du centre-ville de Bogotá un dimanche matin pour écouter l’ensemble Amir Amiri. En quoi la présentation de ce groupe musical aux inspirations du Moyen-Orient et basé à Montréal pourrait bien être pertinente dans le contexte colombien ou encore m’aiderait à faire avancer notre relation bilatérale?

Je voulais – et devais – néanmoins garder l’esprit ouvert – je venais juste d’arriver en poste en Colombie à l’été 2022 après tout et nous appuyions la venue de l’ensemble grâce à notre fonds culturel. 

Au moins la salle était pleine, me suis-je dit, incluant plusieurs invités de l’Ambassade. 

Mon scepticisme s’est vite évaporé. La musique était certainement envoutante et a tout de suite plu au public. Mais c’est entre les morceaux que la magie a réellement opérée. Amir a expliqué les origines de son instrument, la santour, mais aussi son propre parcours personnel comme réfugié iranien au Canada. Les autres membres de l’ensemble venaient tous de différents pays du Moyen-Orient et s’étaient rencontrés à Montréal. Depuis, une grande camaraderie s’était développée entre eux et leurs inspirations musicales se sont combinées et fusionnées afin de créer un son unique. Et tout ça grâce à leur terre d’accueil, le Canada. 

Dans la salle, le public colombien était conquis par la combinaison de cette musique et les histoires racontées par les membres du groupe. Difficile de faire mieux (et plus crédible!) afin de promouvoir la riche diversité canadienne et nos valeurs de respect, de tolérance, de paix et d’ouverture. 

Cette expérience a renouvelé ma conviction quant à l’importance cruciale de la diplomatie culturelle canadienne dans un pays comme la Colombie. L’Ambassade aurait pu faire des centaines de discours sur la diversité et l’inclusion et nous n’aurions pas eu le même impact que d’entendre Amir et ses collègues partager leurs histoires et leur musique. Et ma conviction a été maintes fois renforcée au fil des événements de diplomatie culturelle que nous avons organisés en Colombie. 

J’ai donc été très surpris et déçu lorsque notre principal mécanisme pour financer les activités de diplomatie culturelle (le Fonds culturel des missions) a récemment été coupé. 

Je suis convaincu que cette décision entraînera des répercussions négatives à long-terme pour notre pays sur la scène internationale. Au-delà de cette coupure d’un fonds ponctuel, ce qui me préoccupe de manière plus générale est l’impression que la diplomatie culturelle est perçue plus comme un luxe ou un accessoire plutôt qu’une composante centrale d’une politique étrangère efficace d’un pays comme le nôtre. 

Amir Amiri n’est qu’un exemple parmi tant d’autres dont j’ai été témoin durant mon affectation actuelle où nos artistes canadiens se sont fait les porte-paroles crédibles et efficaces d’un Canada moderne, de nos valeurs et de nos priorités. Ils ont été pour nous en Colombie les porte-étendards de notre « marque Canada ». 

Je pense notamment à l’artiste multidisciplinaire colombo-canadienne Lido Pimienta, gagnante il y a quelques années du prestigieux Prix de Musique Polaris. À travers ses chansons et son art, cette jeune femme autochtone promeut d’importantes thématiques dont l’égalité des genres, l’importance de la diversité et la promotion des droits des peuples autochtones. Par son histoire personnelle, elle incarne aussi très bien cette jeune et dynamique diaspora colombienne qui est installée au Canada. 

Nous avons eu l’occasion d’appuyer Lido à deux reprises depuis mon arrivée en poste. De petits montants à chaque fois pour qu’elle puisse participer au plus important festival de musique de la ville de Bogotá ainsi que dans le principal festival artistique de Carthagène. Dans les deux occasions, sa présence a attiré les foules et notamment plusieurs acteurs clés. Et à chaque fois, elle a profité de sa plateforme unique afin de promouvoir ses valeurs et son engagement. À travers elle, et grâce à sa crédibilité et son engagement, les spectateurs ont compris ce que représentait le Canada d’aujourd’hui. 

Amir et Lido sont seulement deux des nombreux exemples dont j’ai été témoin pour démontrer toute la force de la culture comme instrument diplomatique particulièrement puissant et efficace. C’est également un excellent véhicule pour favoriser les conversations sur des sujets, qui, dans un cadre formel, peuvent être plus difficiles et sensibles : par exemple, faire progresser les droits LGBTI+ grâce à un film, donner un visage à la migration grâce au témoignage d’un auteur, reconnaître les erreurs et partager les leçons concernant le processus de vérité et de réconciliation du Canada grâce au théâtre, aux films et à la poésie, quelque chose qui a inévitablement des résonances et des liens avec la propre histoire du conflit en Colombie.

Mon temps en Colombie m’a également permis de constater à quel point la diplomatie culturelle peut être un bon moyen afin de créer et renforcer un réseau de contacts clés. Il y a un grand appétit ici pour assister aux événements culturels. Ces événements sont donc pour nous un moyen privilégié pour inviter nos contacts et forger des relations personnelles avec eux qui mènent à des relations professionnelles encore plus solides et productives.

Lido Pimienta en spectacle grâce à l’appui du Canada

Grâce à notre appui au Festival del Centro, j’ai notamment eu la chance de rencontrer et de discuter avec la mairesse de Bogotá et prendre la parole avec elle devant un théâtre à pleine capacité. À l’Université des Andes, j’ai « dansé » (si on peut décrire mes mouvements décousus ainsi) côté à côté avec le Directeur des affaires culturelles du ministère des Affaires étrangères sur les sons endiablés du groupe canadien Kizaba. Lors de la venue du cirque Dynamo Théâtre en mars 2023, le vice-ministre des Affaires étrangères a pu assister à nos côtés en compagnie de son épouse. Ce fut une occasion idéale pour le connaître davantage dans un contexte ludique. Il a été d’autant plus facile de reprendre contact avec eux par la suite afin de poursuivre la discussion. 

Par ailleurs, l’an dernier, dans le cadre d’un partenariat avec un cinéma local, nous avons eu la chance de projeter cinq films canadiens pour nos contacts clés. Le maïs soufflé était inclus! J’ai encore le souvenir d’une contacte du secteur privé qui était très émeu après avoir vu le touchant film « Paul à Québec » parce que cela lui rappelait sa relation avec son père. Inutile de dire qu’elle me parle encore de cette soirée et que nos liens sont devenus beaucoup plus serrés et que cela aura servi dans le cadre de nos discussions professionnelles. Nous avons aussi fait profiter plusieurs programmes de l’Ambassade de cette initiative peu couteuse pour qu’ils aient « leur » soirée de cinéma et y inviter leurs contacts clés. Pour les collègues consulaires, par exemple, ces genres d’invitation sont moins fréquentes et d’autant plus appréciées.

On profite du passage de l’autrice Kim Thuy au Festival International du Livre de Bogotá pour organiser des entrevues avec la presse locale sur son oeuvre et son parcours incroyable.

Outre son utilité afin de promouvoir nos valeurs et renforcer nos réseaux de contacts, la diplomatie culturelle peut générer des répercussions économiques positives dans le secteur des industries créatives. Pour cette raison, nous avons toujours travaillé de manière très étroite avec nos collègues de la section commerciale sur ces enjeux. Par exemple, une mission commerciale des industries créatives canadiennes en Amérique Latine organisée en 2019 par Patrimoine Canada aura donné l’idée au plus important théâtre colombien, le Teatro Mayor, d’organiser une « saison canadienne » dans le cadre de sa programmation. Quoique certaines œuvres ont dû être reportées à cause de la pandémie, cela a représenté d’importants débouchés commerciaux pour les groupes artistiques canadiens sélectionnés. Lors de cette seule mission, Patrimoine rapporte que plus de 700 rencontres interentreprises ont eu lieu dans la région, ce qui a mené à la signature d’ententes commerciales d’une valeur de plus de 1,2 million de dollars. Dans le cadre du très important Salon international du livre de Bogotá (FILBO), qui a reçu plus de 600 000 visiteurs l’année dernière, nous avons notamment appuyé la venue d’auteurs de grand calibre tels que Kim Thuy (lauréate du Prix du Gouverneur général pour le roman de langue française) et aussi d’éditeurs et de distributeurs canadiens pour des rencontres d’affaires. Bref, la diplomatie culturelle veut également dire promotion des intérêts économiques du Canada. 

Pour paraphraser notre ministre, j’ajouterais aussi que le Canada évolue dans un monde de plus en plus multipolaire et ceci se reflète également dans la sphère de la diplomatie culturelle. Si nous ne jouons plus dans cette sphère, d’autres acteurs vont sans contredit prendre cette place avec plaisir. Pour nommer que quelques exemples dans le contexte colombien, nous compétitionnons contre la France qui bénéficie de son réseau de l’Alliance française présent dans 13 villes du pays ou encore la Chine avec ses trois centres Confucius. Même un plus petit pays comme la Suisse bénéficie d’un Fonds culturel, d’une plateforme en ligne gratuite pour promouvoir leur culture en Amérique latine et de l’appui d’une Fondation pour la diffusion de la culture. 

Dans mon contexte particulier en Colombie, le Québec vient récemment d’ouvrir un nouveau bureau avec un agenda (et un financement) culturel important. Nous travaillons très bien ensemble sur de nombreux projets toutefois il va sans dire qu’avec leurs nouveaux moyens et ambitions, il est de plus en plus difficile de les suivre et d’être aussi visibles dans le contexte de coupures actuel. En somme, mon expérience me porte à croire qu’il y a un coût à ne pas être présent sur le tableau de la diplomatie culturelle vis-à-vis les autres acteurs internationaux. 

En terminant mon petit plaidoyer en faveur de la diplomatie culturelle, je noterais que ce n’est pas une habileté qui est innée où qu’on peut nécessairement apprendre à déployer de manière parfaite du jour au lendemain. J’ai observé en Colombie qu’il y avait des activités qui fonctionnaient bien et quelques autres qui étaient moins réussies. Avec l’aide inestimable de mon équipe, j’ai appris à améliorer et perfectionner nos actions dans ce domaine mais ce fut un apprentissage. Il est entre autres crucial de sélectionner les bons partenaires, d’établir les bonnes formules d’événements pour attirer nos contacts et maximiser la diffusion de nos valeurs. 

En arrêtant le financement des activités de diplomatie culturelle, nous risquons de perdre et d’oublier ces apprentissages et cette précieuse expertise, et ce, tant en poste qu’au siège. Nous perdons aussi l’excellent réseau de contacts locaux et canadiens dans lequel nous avions investis et qui nous appuyaient dans cette mission. À plusieurs égards, nous perdons aussi de la crédibilité auprès de nos vis-à-vis, en devant arrêter nos collaborations de manière aussi subite. C’est vraiment une grande perte qui ne peut se reconstituer du jour au lendemain. 

En cette période de transformation et de réflexion sur l’avenir du Ministère et de l’action internationale du Canada, mon souhait serait qu’on trouve le moyen de rétablir et de préserver à long-terme ces précieux outils de financement (surtout pour les sections du Service de la Politique étrangère et de la Diplomatie (SPED) qui en ont si peu), comme le fonds culturel des missions, qui nous permettaient de mettre en œuvre de grandes initiatives et de vraiment faire avancer nos priorités avec des sommes relativement modiques. 

Et surtout, je souhaite que la diplomatie culturelle soit reconnue comme un élément clé et central de notre action internationale et d’assurer sa pérennité. Elle permet à nos pays et nos peuples de mieux se connaître. Elle offre une appréciation plus nuancée de l’autre et un rapprochement grâce à nos similitudes. Dans un monde de plus en plus fracturé, il ne faut pas se passer de cet outil critique. 

Nos artistes sont de puissants ambassadeurs et il faut pouvoir profiter de l’incroyable richesse culturelle de notre pays à sa juste valeur sur la scène internationale.

L’auteur avec la mairesse de Bogota, Claudia Lopez, et l’artiste colombo-canadienne Lido Pimienta

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