À Miami, le 30 mars 2015, mon fils de 18 ans, Jean, a été tué alors qu’il effectuait une tentative de vol de marijuana. Un autre adolescent, Joshua, est aussi mort dans l’échange de coup de feu. Près de la scène, mon second fils Marc, âgé d’à peine 15 ans, a été arrêté et inculpé de meurtre à titre de complice. Nous avions déménagé d’Ottawa à Miami, à la suite de ma nomination au poste de consule générale du Canada en Floride, deux mois auparavant. 

Comment en étions-nous arrivé là? Quelles étaient mes responsabilités en tant que mère? Comment appuyer mon fils dans le système judiciaire américain et depuis? Comment remonter la pente? Est-ce même possible? Y a-t-il par ailleurs des introspections utiles pour le Service extérieur canadien à tirer de cette tragédie? Le témoignage intitulé Enfin comprendre, publié en décembre, tente de répondre à ces questions. 

J’ai voulu partager l’aboutissement inattendue de ma recherche de sens auprès des parents en général, auprès de parents qui élèvent des enfants d’autres races et/ou cultures que la leur, auprès aussi de ceux qui misent sur une plus grande compétence interculturelle et sur l’inclusion des différences dans notre société et qui veulent faire mieux en ce sens, et finalement, auprès de ceux qui croient en la justice sociale.

Très peu est écrit par des parents qui ont un enfant dans le crime. En général, la société s’explique mal la délinquance d’enfants qui grandissent avec toutes les possibilités de développement : éducation, accès à des ressources, sport, etc. Dans ces cas-là, et c’était le mien, on anticipe vite qu’il doit s’agir, surtout, d’une négligence ou à tout le moins d’erreurs parentales. C’est compréhensible et ce n’est en fait pas sans fondement. 

Lorsque je me suis interrogée sur mon rôle, j’ai dû accepter que j’étais déconnectée de mes enfants pour des raisons qui n’étaient ni exceptionnelles, ni tragiques mais tout de même importantes, que j’explique dans le livre. Pour nouer, ou renouer une relation positive avec mon fils Marc, il m’a fallu cibler la vraie nature de ma relation avec mes enfants, et non la leur envers moi. À priori, on veut tellement trouver des réponses dans les circonstances externes. C’est pénible de labourer de l’intérieur. Il reste que nous sommes les seuls qui aimons nos enfants d’une façon aussi inconditionnelle et qui donnerions notre peau pour les sauver. Nous jouons un rôle central dans leur vie. Il n’est jamais trop tard. 

Revoir ma relation avec mes fils m’a permis de conclure que Jean avait choisi d’entrer dans le crime parce qu’il n’était pas bien. Il cherchait une validation ailleurs. Il était isolé, perdu. J’insiste sur le mot choisir car je ne crois plus que les enfants tombent dans le crime. Un enfant bien, c’est-à-dire, un enfant bien dans sa peau, ne choisira ni surtout ne restera pas dans le crime. Ce n’était pas la faute des autres, des mauvaises influences. C’était nettement plus profond. 

De plus, mon examen m’a amenée à constater que je ne voyais pas mes enfants biraciaux tels qu’ils étaient. Je les voyais comme des biscuits OREO, noirs à l’extérieur, et blancs à l’intérieur. Après tout, ils étaient mes fils, et ils réussiraient, ça s’arrêtait là. Je sous-estimais les défis auxquels ils faisaient face dans une société toujours teintée de préjudices – des préjudices que j’ai dû voir en moi aussi. Cette situation a contribué à la crise identitaire de mon fils Jean. Il n’aurait probablement pas commis le crime à Miami s’il avait été blanc, mais qu’il ne l’a certainement pas commis parce qu’il était noir. La complexité de cette réalité, il m’a fallu la comprendre. 

Voulant ne plus sous-estimer les défis de mes enfants biraciaux, et afin de les voir tels qu’ils sont, j’ai commencé à défricher un chemin pour y arriver, forte de conversations révélatrices avec mon fils et d’autres jeunes racisés comme lui, ainsi que de fraîches recherches. L’élaboration de ce chemin – qui était en quelque sorte une question de vie et de mort pour moi – est mon plus grand apprentissage. J’avais perdu mon fils Jean, en partie parce que je ne l’avais pas vu comme il était, il fallait maintenant absolument que j’arrive à voir Marc pour tout ce qu’il était. 

Certaines considérations dont j’ai fait état dans le mémoire sont tirées par ailleurs de mon expérience dans le service extérieur et de mon statut de consule en Floride. 

Bien que notre histoire établît clairement que notre vie de diplomates avait peu à voir avec la tragédie, je comprends mieux maintenant, à la suite d’échanges avec des collègues du Service extérieur canadien et d’autres pays depuis le crime de 2015, que les défis de maintenir le lien parent-enfant, dans une profession qui interpelle la famille entière à un tel degré dans son exécution, sont tout de même bien réels. Il faut se donner de la compassion dans ce contexte particulier, faire preuve d’ouverture et de réalisme. Mon récit relate l’appui de mes collègues au gouvernement fédéral et ailleurs ainsi que celui, en particulier, de mon employeur Affaires mondiales Canada pour lequel j’ai une grande gratitude. À ma connaissance, c’était une situation sans précédent, et qui affectait l’image du Canada. Le traitement humain et intuitif des autorités d’AMC est, en quelque sorte, une marque dans le sable pour l’avenir. 

Les péripéties de notre passage dans le système judiciaire, illustre aussi de façon détaillée, la nature, les paramètres et surtout les limites du service consulaire canadien et des conventions et traités bilatéraux qui s’appliquent entre nations dans de telles circonstances. C’est un rappel aux quatre millions de Canadiens qui séjournent en Floride chaque année et aux autres qui voyagent à l’étranger d’être vigilants lorsque dans d’autres pays. C’est un cas réel qui illustre cette réalité, incluant la perception de notre statut et de notre métier par ceux qui ne le pratiquent pas. 

Le cheminement d’un enfant de 15 ans vers une libération inespérée eut égard à la sévérité de ses charges criminelles démesurées, la rapidité imprévue de son retour au Canada, sa prise en charge de son avenir ainsi que sa détermination à lui donner un sens spirituel, occupent la dernière partie du récit. C’est un message de transformation. J’ai pu voir comment les jeunes qui se retrouvent dans des situations difficiles, parfois même très graves, seront toujours plus que les actions auxquelles ils sont associés ou qu’ils ont commises. 

Trouver la voie vers le haut a été tortueux et long. La culpabilité, le regret, la perte d’un enfant pour lequel nous savons maintenant qu’il aurait pu être sauvé et aimé comme il le méritait, ainsi que la tristesse persistante que la finalité de sa mort entraîne, sont des émotions puissantes. Elles peuvent littéralement nous écraser. Je sais maintenant comment possible – voir même probable – est le fait qu’on peut ne pas y arriver. J’ai voulu abandonner ce projet d’écriture à maintes reprises. 

Ce n’est que lorsque j’ai baissé les bras, une fois que j’ai accepté que je ne vivrais pas, ni ne voulais vivre la vie des autres, ceux que je percevais comme étant mieux ou plus, que tout a pris forme. Comme mon fils Marc qui a été transformé par la tragédie, moi aussi je me suis dit que ce qui nous était arrivé nous était arrivé pour nous et non à nous. Nous allions vivre notre vie, pas tenter de vivre celle des autres. M’arrêter à identifier mes biais, mes préjudices, ainsi que mes failles comme parent a été le plus difficile et, pourtant, le plus porteur. Cela m’a permis, ultimement, de me pardonner et de faire preuve de compassion à mon égard. Et cette compassion, elle est nécessaire pour trouver sérénité et paix, laquelle se manifeste notamment maintenant par la connexion retrouvée avec mon fils Marc, dont l’encouragement a été décisif. 

Notre histoire, riche en rebondissements, et cumulée à mes observations lors de mon passage à la tête de l’Institut canadien du service extérieur, suivi de l’obtention de nouvelles certifications internationales et nationales en compétence interculturelle m’a orienté sur la suite des choses. Que faire maintenant? Comment aider à créer un monde meilleur, plus inclusif, ce qui me semble l’action prioritaire? Nous avons tout à gagner à davantage saisir que nos interprétations, nos normes et valeurs sont spécifiques à notre culture, notre race. Arriver à considérer les perspectives, valeurs et normes des autres cultures, races et religions comme étant valables, non seulement dans le contexte de ces cultures, mais valables en soi, n’est pas chose facile quand on fait partie de la majorité. L’empathie à œil ouvert, l’auto-critique sincère est la meilleure boussole sachant que la recherche démontre, sans équivoque, que nous nous croyons meilleur à interagir avec le différent de soi que nous ne le sommes. Je vais tout de même m’atteler à cette tâche. Car tout est possible. Je le sais maintenant.

Partagez cet article / Share this article

Facebook
Twitter
LinkedIn
Email